Côte d'Ivoire : Les amis américains de Ouattara se mobilisent

©Jeune Afrique / L'intelligent N°2075 - Du 17 au 23 Octobre 2000

Jusqu'à la dernière minute, les Américains auront fait pression -en vain- sur le général Robert Guei pour qu'il n'exclue pas Alassane Ouattara et les autres "candidats de poids" de la compétition électorale. Ainsi, l'administration Clinton a envisagé, dans un premier temps, de dépêcher sur place Howard Jeter, qui était, il y a quelques semaines encore, le premier responsable de l'Afrique de l'Ouest au département d'Etat et le principal collaborateur du secrétaire d'Etat adjoint chargé des affaires africaines, Susan Rice. Mais ce diplomate connu pour son franc-parler attend en ce moment le feu vert du Sénat pour rejoindre son -tout nouveau- poste d'ambassadeur au Nigeria. On a alors pensé faire appel à colin Powell, ancien chef d'état-major général de l'armée américaine, républicain de bon teint, connu pour ses talents de négociateur et qui, pensait-on, pourrait parler le langage "approprié" au chef de la junte ivoirienne. Mais le projet fut abandonné.

Ce fut finalement la remplaçante de Jeter, Nancy Powell (aucun lien de parenté avec le célèbre général de la guerre du Golfe), qui fit le voyage d'Abidjan. Accompagnée d'un interprète, elle a transmis un message clair à Robert Guei. A savoir que l'administration américaine ne reprendrait pas sa coopération, suspendue au lendemain du coup d'Etat du 24 décembre 1999, si des personnalités aussi "représentatives" que Ouattara ou Emile Constantin Bombet (investi par le Parti démocratique de Côte d'Ivoire, PDCI-RDA) étaient écartées de la compétition. L'émissaire a ajouté qu'en cas de maintien du général Guei à la tête de l'Etat après les élections le gouvernement américain pourrait être amené à fermer, purement et simplement, l'ambassade des Etats-Unis en Côte d'Ivoire, sans pour autant rompre les relations diplomatiques. C'était le 6 Octobre. Quelques heures seulement avant la publication par la Cour suprême ivoirienne de la liste officielle des candidats…

Dès l'annonce, le même jour, de l'élimination de Ouattara et de la totalité des six candidats du PDCI-RDQ, Washington fait savoir qu'en attendant un examen plus sérieux du dossier il suspendait son concours financier aux élections ivoiriennes. Un tiers de cette contribution (1 million de dollars, soit 750 millions de F CFA), destiné à l'éducation civique et à la formation de scrutateurs, a néanmoins déjà été utilisé par le truchement de deux organisations non gouvernementales (ONG) américaines. "Les Américains ont géré le dossier ivoirien en étroite collaboration avec les présidents sud-africain, Thabo Mbeki, et nigérian, Olusegun Obasanjo, indique un diplomate africain. Car, pour comprendre aujourd'hui la politique africaine des Etats-Unis, il faut regarder du côté de Pretoria et d'Abuja." Soit !

La rapidité de la réaction américaine tient également au coefficient personnel de l'ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) à Washington. "Il jouit auprès de l'administration Clinton d'une audience qu'aucun Africain, à l'exception de Mandela, n'a eu avant lui ", explique René Lake, codirecteur de LTL Strategies, le cabinet de conseil américain de Ouattara. Grâce au " portefeuille relationnel" de cet ancien journaliste sénégalais et de son épouse africaine-américaine, Hillary Lake-Thomas, le président du Rassemblement des républicains (RDR) a pu facilement côtoyer du beau monde, ces dernières années. Il a notamment rencontré Vernon Jordan [voir photo], le célèbre avocat et banquier noir, confident du couple Clinton, Howard Jeter, C. Payne Lucas, le patron d'Africare, la plus importante ONG noire américaine opérant en Afrique (vingt-six bureaux entre Accra et Johannesburg). Mais aussi l'ancien maire de la capitale fédérale, Sharron Pratt Kelly, la présidente de la Fondation Ford, Susan Berresford, le patron de Citicorp/Citibank et de Pepsi-Cola, Franklin Thomas, ainsi que les membres les plus influents du Black Causus, l'organisme qui regroupe l'ensemble des élus noirs du Congrès.

Faut-il s'étonner, dans ces conditions, qu'une fois connue l'élimination de Ouattara plusieurs des personnalités précitées aient écrit à Bill Clinton pour l'inviter à "condamner la violence, l'intimidation et les pratiques antidémocratiques en Côte d'Ivoire ". "Si l'on veut éviter que ce pays ne devienne un nouveau Liberia ou une nouvelle Sierra Leone, il faudrait que les dirigeants français et de l'Union européenne fassent de même", écrivent les intéressés dans une lettre datée du 6 octobre dont Jeune Afrique/L'intelligent a pu prendre connaissance. "Nous croyons qu'une déclaration ferme de votre part pourrait épargner à ce pays une guerre civile." Outre C. Payne Lucas, dont la fille travaille au protocole de Hillary Clinton, on note parmi les signataires la présence du milliardaire (blanc) Jack Kemp, colistier du candidat Bob Dole lors de la campagne présidentielle de 1996, considéré comme "le républicain le plus impliqué en Afrique" et le plus populaire au sein d'une communauté noire majoritairement acquise au Parti démocrate.

Parmi les personnalités qui ont apposé leur signature au bas du document adressé à Clinton figurent également Leonard Robinson Jr., un républicain noir qui s'est occupé des affaires africaines sous Ronald Reagan, Melvin Foote, un activiste bien introduit au Congrès, et, surtout, Mora McLean, ancien responsable Afrique-Moyen-Orient à la Fondation Ford et actuelle présidente de l'Institut américain pour l'Afrique (The Africa-America Institute). Mariée à un Nigérian, amie d'Obasanjo et de Mbeki, elle est unanimement considérée, aujourd'hui, comme un "trait d'union" entre Africains-Américains et Africains. Enfin, pour compléter le tableau, Vernon Jordan, managing director de la banque d'affaires Lazard Frères, a téléphoné à Hillary et René Lake, le vendredi 6 octobre, pour leur dire qu'il parlerait de cette affaire "le lendemain" avec le président. L'avocat, qui l'a soutenu dans l'affaire Monica Lewinsky, joue pratiquement tous les week-ends au golf avec Bill Clinton.